Le château en Espagne

Lazare Gousseau & Thibault Taconet

« On dit qu’il existait jadis deux pays. Non pas Castille au nord et Andalousie au sud. Mais Par-deçà à l’ouest et Par-delà à l’est, et que la Marche était la route qui menait de l’un à l’autre. Peut-être les deux pays n’existent plus, pourtant quelque chose circule malgré tous nos efforts. L’indiquent ces phénomènes bizarres qui animent la Sierra Negra ou qu’elle anime. Réactions à l’injuste. »

Dans une Espagne imaginaire, en limite de Limite entre Castille et Andalousie, Don Castro de La Marche administre les affaires du pays. Pour le bien de tous et surtout pour le sien, il a le projet de marier son fils Edmundo. Mais lui, contre toute raison, aime sans partage une femme imaginaire rencontrée dans une antique tragédie.
Pour que les choses s’arrangent, il faudrait qu’enfin la famille se réunisse autour d’une réalité.
Un territoire ? Mais le leur est une frontière étroite qui s’étire et serpente entre montagne et vallée.
Une maison ? Ils vivent dans un château de conte de fée qui parfois se transforme en auberge.
Une origine ? Un père ? Une mère ? Certains ont la même mère, d’autres le même père. Mais pour la plupart ils ne savent pas très bien d’où ils viennent.
Une époque ? « Ici le bât blesse » dit un certain Chevalier Noir. Car ils vivent dans le futur, un temps qui n’est pas vraiment présent.
Ce qui les réunit, c’est que chacun-e existe. On pourrait alors leur souhaiter d’affronter ensemble un douloureux drame familial ou de se découvrir un ennemi commun. Mais est-ce bien raisonnable ?


« Nous avons une cartographie des failles, des interstices, des espaces faiblement gardés, opaques, où déployer des pratiques qui ne sont pas fondées sur le calcul et la valeur marchande. » 

Françoise Vergès – Une théorie féministe de la violence


Aux fondations de ce Château en Espagne, il y a un drôle de mélange qui nous faisait sérieusement rire, un faisceau d’influences allant d’Antigone à Don Quichotte, et passant par Shakespeare et Simone Weil.
Au rez-de-chaussée, on trouve bien sûr une série de motifs qui nous travaillent et dont voici une liste non-exhaustive : la multiplication exponentielle des frontières de toutes sortes, la violence qui va avec ce monde, l’amour im-possible, etc.
Puis, en montant dans les étages, on a aussi croisé cette idée de détourner le « Grand spectacle familial ».
Maintenant qu’il est construit et qu’on arrive en haut, on s’aperçoit qu’il ne porte, malgré nous et en creux, qu’une seule chose : l’importance du passé, le travail complexe qu’il nous impose : découvrir un chemin praticable entre deuil et héritage, (ce qui est perdu et ce qui reste). Ça parlerait donc de ça : du passé qui ne passe pas et dans lequel nous vivons, qu’on le veuille ou non. Et depuis le haut de la tour sud, on peut y voir un geste de résistance modeste à l’air du temps vicié par les injonctions au futur.
Alors, une fois redescendu-e-s, peut-être voulons-nous, en dépit de nos acquiescements aux dictats du futur et au présent tel qu’il va, participer « aux pratiques et discours d’espérance, d’utopie d’où d’authentiques surgissements prennent naissance ».


avec : Raffaëlle Bloch, Jacques Bruckmann, Pedro Cabanas, Arnaud Chéron, Renaud Garnier-Fourniguet, Alizée Larsimont, Marie Luçon, Jean-Claude Luçon, Arthur Marbaix, Éléna Pérez

texte : Lazare Gousseau & Thibault Taconet
mise en scène : Lazare Gousseau
scénographie : Didier Payen
costumes : Raffaëlle Bloch

production en cours